Jean de Herdt disparait dans l'anonymat
Non, aujourd'hui, je voudrais revenir sur la mort de Jean de Herdt. Jean de qui ? Et c'est bien là le problème. Jean de Herdt est décédé le 5 janvier 2013 dans l'indifférence la plus totale. Comme des milliers de gens en somme.

Sauf que Jean de Herdt méritait un peu plus de considérations (surtout dans la presse sportive). Car Jean de Herdt était une légende du judo. Né en 1923, Jean de Herdt obtient la première ceinture noire française de l'histoire du judo (en 1940). Deux ans plus tôt, il avait été le sparring-partner de Jigoro Kano, l'inventeur du judo venu faire une démonstration en France.
Premier champion de France de judo de l'histoire (en 1943), De Herdt réalise son plus haut fait en 1951. A cette époque-là, il est déjà sextuple champion de France et vient de remporter trois titres lors des premiers championnats d'Europe de judo (deux en individuel, un par équipe). La Fédération japonaise lui propose alors un combat contre son meilleur judoka, Toshiro Daïgo.
Le combat a lieu au Vélodrome d'Hiver devant 17 000 spectateurs. Jean de Herdt tient tête au japonais pendant 22 minutes et obtient un match nul historique. Ecoutons Jean de Herdt à propos de son exploit : « Il s'attendait à me donner une leçon... Il a été déçu. Il était complètement mort. Je pouvais le battre mais cela ne se faisait pas. Obtenir le nul a été considéré comme un affront fait au Japon ».
Ce résultat, face à judoka un non Japonais, qui plus est moins bien gradé (Herdt est alors ceinture noire troisième dan alors que Daïgo est sixième dan) constitue un double déshonneur pour le camp japonais, qui fera payer au Français cet affront. « Ce combat contre Daïgo m'a coûté cher pour la suite de ma carrière. Les Japonais ne voulaient pas me voir combattre sur la scène internationale, et l'ont fait savoir à la Fédération française de judo ».
Cet exploit retentissant aurait dû valoir à Jean de Herdt un bel hommage lors de son décès. Voici ce qu'a écrit le site internet lequipe.fr à ce sujet : « Pionnier du judo français et quintuple champion d'Europe, Jean De Herdt est décédé samedi à 89 ans. Il avait décroché sa ceinture noire en 1940. »
Comme vous pouvez le voir, L'Equipe expédie le décès de Jean de Herdt en deux malheureuses lignes et ne parle pas du combat historique...
Les champions oubliés
La façon de traiter ce décès me rappelle celui de Lucien Laurent, le premier footballeur à avoir inscrit un but lors d'une Coupe du monde (lors de la première édition en 1930 en Uruguay). Il était décédé en avril 2005 dans l'indifférence générale. L'Equipe lui avait juste consacré un petit article de rien du tout. Je me souviens que Lucien Laurent disait que lors de la finale de la Coupe du monde 1998, aucun média français ne s'étaient intéressés à lui et qu'il n'avait reçu aucune invitation de la FFF pour la finale. En revanche, le 12 juillet, des télévisions étrangères squattaient son salon pour recueillir ses impressions.
Cela montre que notre pays à tendance a oublié ses anciens champions. Le cas de Lucien Laurent n'est pas isolé. En tennis, j'ai toujours le sentiment que ce sport comporte deux périodes pour notre pays : celle des Mousquetaires puis celle de Noah et de l'attente de son successeur. Pourtant, il ne faudrait pas oublier qu'en 1946, Yvon Petra remporte Wimbledon le 5 juillet puis, le 27 juillet, Marcel Bernard s'impose à Roland-Garros (à l'époque on jouait Wimbly avant RG). Ces deux succès avaient eu un retentissement important puisqu'on était dans l'immédiate après-guerre et que tout était bon à prendre pour remonter le moral des Français. Le titre de champion du monde de Cerdan le 21 septembre 1948 aura le même effet.
Si aujourd'hui Cerdan est encore présent dans nos mémoires, qu'en est-il de Petra et Bernard ? Il n'en reste pratiquement rien. Vous allez me dire que Cerdan a eu la « chance » de mourir en pleine gloire ce qui contribue à sa légende. OK, mais dans ce cas, pourquoi Jean-Pierre Wimille, immense pilote français qui se tue au GP de Buenos, en 1949, la même année que Cerdan, et au sommet de son talent, est tombé dans l'oubli ?
En plus des champions oubliés, il en va de même pour les compétitions. L'exemple que je cite le plus souvent est celui du Trophée des Champions. Sur le site de la LFP, ce trophée débute en 1995. Dans la pratique, le trophée existe depuis 1949. J'avais d'ailleurs moi-même trouvé un article de Gabriel Hanot relatant le match.
A qui la faute ?
Alors à quoi devons-nous cette absence de mémoire ? On l'a doit principalement aux médias et aux institutions (fédérations, clubs). Pour les journalistes, la donne est simple : ils sont formés dans les écoles pour écrire, pas pour apprendre l'histoire du sport. Et une fois dans un journal, ils font soit des interviews, soit des comptes rendus voire des reportages. Ce serait bien qu'ils puissent avoir une vision plus large du sport.
Concernant les institutions, je vais vous raconter une anecdote. Lorsque l'historien Olivier Chovaux a étudié des archives du RC lens pour ses recherches, Gervais Martel était dubitatif. Voyant que l'historien ne ferait pas une histoire officielle, Martel fit jeter à la poubelle les archives du club... Et aujourd'hui le RC Lens nous propose une histoire mythifiée avec par exemple la commémoration du centenaire de la catastrophe de Courrière au stade Felix-Bollaert.

Autre exemple affligeant et révélateur, le Musée National du Sport (MNS). Pour y avoir fait un stage pendant quelques mois, je peux vous dire qu'il regorge de trésor. Pourtant, ce musée est un gouffre financier. Pourquoi ? Il suffit de voir ce qu'en disait en février 2011, la cour des Comptes (CDC) dans son rapport public annuel. La CDC émettait un avis particulièrement critique sur la gestion du musée par l'État, déplorant la surface extrêmement restreinte accordée à la présentation des collections (seulement 1200 m2), estimant le « projet mal suivi » pour un « musée largement virtuel ». Les collections n'ont en effet été rendues publiques qu'une dizaine d'année au total en près d'un demi-siècle d'existence du musée. La Cour conclut qu'il s'agit d'un « musée public sans galeries permanentes, sans tutelle effective de l'État, sans personnel adapté, et finalement sans public ».
Dès lors, difficile de promouvoir la mémoire de notre sport. Aujourd'hui, ce musée n'a toujours pas trouvé de point de chute, la faute à nos politiques. Le MNS devait aller au Stade de France (j'ai lu le dossier conservé au MNS) mais l'élection de Sarkozy en 2007 a mis fin au projet (qui émanait de Chirac et Lamour). Sarkozy propose alors de le relocaliser à Nice (car Estrosi et futur nouveau stade de l'OGC Nice). Sauf que Sarkozy n'est pas réélu en 2012 et le projet est aujourd'hui dans le flou... Petite parenthèse, cela me fait penser au choix d'emplacement du Stade de France qui changeait à chaque majorité (de Melun à Saint-Denis !).
La croisade pour la mémoire
Alors que faire pour préserver notre patrimoine sportif ? L'Historien américain David Lowenthal évoquait dans son livre The Heritage Crusade and the Spoils of History, « la croisade pour la mémoire ». En sport, le concept est applicable. Il suffit de voir la réaction des clubs anglais et des leurs supporters face aux mutations du football dans les années 80-90. Après les nombreuses lois luttant contre le hooliganisme, l'aménagement des stades, l'arrivée du pay-per-view, on voit apparaître la volonté de préserver le passé. Cela passe par l'écriture d'ouvrages officiels sur l'histoire des clubs, la création de musée etc. Un exemple parlant parmi tant d'autres, lors du changement de stade d'Arsenal (de Highbury à l'Emirates), l'horloge d'Highbury (la fameuse Clock End) a été encastrée dans la façade de l'Emirates Stadium. Avant cela, les historiens et sociologues britanniques s'étaient penchés dès les années 50 sur l'histoire et la place de ce sport dans la société britannique.
Et en France ? En France, la mémoire du sport est un phénomène récent. On le doit aux historiens Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi à la fin des années 80 et au début des années 90. Pourtant, dans le monde universitaire, le football est encore largement déprécié (et je sais de quoi je parle pour avoir fait un mémoire de Masters sur Kopa, Platini et Zidane).
Concernant les supporters, on a vu apparaître des fanzines mais aussi des sites internet (j'en cite quelques-uns : footnostalgie, old school panini, une autre histoire du football) sans oublier une chaîne de télé thématique : ESPN Classic.
Si ces médias sont salutaires, ils tombent parfois dans le piège du « c'était mieux avant », oubliant que le sport est toujours allé de travers. Je rappelle que le premier scandale de paris truqués dans le football remonte à 1915 avec le championnat anglais et un match entre Manchester United et Liverpool.
Plus près de nous, nous avons souvent affaire à une vision idyllique et donc erronée du football des seventies.
Je vais donner ici trois exemples concrets : lors de la finale de la Coupe du monde 1970, Pelé refait volontairement ses lacets juste avant le coup d'envoi pour que l'on puisse voir ses chaussures Puma. En 1974, Cruijff joue avec un maillot Adidas à deux bandes, au lieu des trois traditionnelles, car il était sous contrat avec Puma (décidément !).
Enfin, lors du Mondial 1978, Marius Trésor fut chargé de négocier de nouvelles primes avec François Remetter, l'ancien gardien de but qui représentait la marque Adidas. Face au refus de la marque allemande d'augmenter les primes, le jour du match France-Italie, les Bleus passèrent un coup de pinceau noir sur les trois bandes ornant leurs chaussures.
En guise de conclusion
A travers cet article, j'ai dressé un rappel des faits et pointé ce qui n'allait pas. J'espère maintenant voir le développement d'une « croisade pour la mémoire sportive » dans notre pays, afin que nos grands champions et notre patrimoine sportif ne disparaissent pas de nos mémoires.
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