Ernest Deschamps et Pierre Deschamps
L'AJ Auxerre voit le jour en 1905. Le club est fondé par l'Abbé Ernest Deschamps en réaction à la séparation de l'Eglise et de l'Etat cette même année. A travers l'AJA, l'Abbé Deschamps souhaite que la jeunesse auxerroise soit bien éduquée, c'est-à-dire autrement mieux que par l'école républicaine et donc laïque. De 1906 à 1909, l'AJA évolue dans un ensemble noir (selon la légende, en signe de deuil après la séparation de l'Église et de l'État). Puis le club opte pour les couleurs bleu et blanc de la Vierge Marie (là aussi selon la légende). L'emblème du club est la Croix de Malte, symbole des mouvements de la jeunesse catholique.

A Guingamp, c'est l'inverse. En 1912, Pierre Deschamps, directeur de l'école primaire supérieure de garçons de Guingamp, fonde une société d'éducation physique. Elle est nommée « En Avant ». Cette société laïque est marquée par les idéologies de la gauche, dont le socialisme. La dénomination « En Avant » fait écho aux journaux socialistes européens comme Vorwärts (Allemagne), Forward (Grande-Bretagne) ou Avanti (Italie). Le maillot rouge et noir du club fait référence au mouvement progressiste anticlérical.

La Coupe de France pour se révéler
Le 3 juin 1972, le jeune Noël Le Graët, âgé de 30 ans, devient le président de l'EAG. Le club qui évolue alors en Division supérieure régionale se signale lors de la Coupe de France 1972-1973 en atteignant les huitièmes de finale après avoir éliminé quatre clubs de deuxième division (Laval, Brest, Le Mans et Lorient).
Cet exploit inspire à Jean-Jacques Annaud le film Coup de tête avec Patrick Dewaere, sortit en 1979. Annaud tourne le film à Auxerre car il cherchait une petite ville de province à l'architecture médiévale. Par une heureuse coïncidence, l'AJA, alors en D2, se hisse en finale de la Coupe de France 1978-1979 et se révèle aux yeux de la France.
L'économie locale au service du club
Autre point commun entre les deux clubs, l'implication de l'économie locale dans la réussite de ces deux clubs lorsqu'ils avaient le statut amateur. Hubert Couquet, président de l'En Avant de 1945 à 1958, est également le patron de nombreux joueurs du club. En effet, en décembre 1943, un accord est voté à la mairie de Guingamp, visant à rapprocher le club des Usines Tanvez. Cet accord avec les Usines Tanvez va réorienter complètement le mode de recrutement d'EAG. Guingamp recrute des joueurs-ouvriers en région parisienne et d'origines espagnoles. Le contrat est simple, Tanvez offre un travail en échange de l'investissement des nouveaux embauchés sur le terrain le week-end.
Il en va de même à Auxerre : les joueurs sont employés dans le garage de Jean-Claude Hamel, président du club, dans les agences bancaires de la ville (Crédit Agricole, Banque Populaire), dans les bistrots ainsi que chez les autres entrepreneurs de la ville.
Enfin, les deux clubs ont souvent eu recourt à des sponsors locaux. De 1975 à 1978 le sponsor est l'entreprise Fruehauf, qui possède une usine de construction de semi-remorques basée à Auxerre. Idem avec le Crédit Agricole de 1983 à 1986. Mais pendant de nombreuses années, Gérard Bourgoin fera de ses entreprises, les sponsors du club (La Chaillotine, Achichien, Duc de Bourgogne). Ces dernières années, Auxerre a également eu un autre sponsor bourguignon : Senoble.
On retrouve le même procédé à Guingamp avec des sponsors locaux comme Jean Stalaven, Brit Air, Brezih Cola ou encore, les Fromages Rippoz (dont Lionel Rouxel bossait au service communication le mardi quand il jouait au club). Enfin, reprenant le modèle de Gérard Bourgoin, Celtigel, entreprise fondée par Noël Le Graët est sponsor de l'EAG depuis 2012.

Des réussites sportives et institutionnelles
Sportivement, la réussite d'Auxerre est bien plus importante que celle de Guingamp. Auxerre a gagné un championnat et quatre Coupe de France (dont le doublé en 1996) pour deux coupes de France au club breton. Auxerre a passé 32 saisons en D1 contre 9 pour Guingamp.
Et sur la scène européenne, Auxerre peut se targuer de 19 participations avec à la clé, un quart de C1, de C2 et une demi-finale de C3. De son côté, Guingamp a participé à trois reprises à la C3 (avec un beau mais vain nul à San-Siro contre l'Inter Milan en 1997).
Précisons toutefois que Guingamp évolue dans une terre de football et doit faire face à une concurrence sévère (Rennes, Lorient, Brest, Vannes sans oublier Nantes ainsi que le regretté Stade briochin). Dans le même temps, Auxerre a profité de l'absence de réussite chez ses voisins pour s'affirmer : Troyes est en redressement judiciaire en 1979, année où Gueugnon refuse de monter en D1, tandis que la ville de Dijon est morcelée en de nombreux clubs dont la dernière fusions, décisive, sera effective en 1998 (naissance du DFCO).
Mais là où la réussite des clubs se rejoint, c'est au niveau institutionnel. En 1963, Jean Garnault, président de l'AJA est élu président de la Ligue de Bourgogne. Il peut alors y faire entendre la voix du football icaunais au détriment de celui de la Côte d'or. Garnault sera ensuite membre de la Fédération Française de Football où il cooptera son successeur à la présidence de l'AJA, Jean-Claude Hamel. Dans le même temps, Guy Roux sera de 1977 à 2001, le président de l'UNECATEF, le syndicat des entraîneurs. Enfin, lorsqu'Auxerre atteint la finale de la Coupe de France en 1979, le maire de la ville, Jean-Pierre Soisson, est également le Ministre de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs.
Même son de cloche à Guingamp. Noël Le Graët entre au CA de la Ligue Nationale de Football en 1984. Il en devient le président en 1991 et occupera cette fonction jusqu'en 2000 où il sera battu par Gérard Bourgoin, un des artisans du succès de l'AJ Auxerre.
Egalement maire de Guingamp de 1995 à 2008, Le Graët est vice-président de la FFF de 2005 à 2001 avant d'en devenir le président le 15 décembre 2012.

On peut également noter la réussite d'André Lorgeré, président de l'EAG de 1920 à 1943. Maire de Guingamp (1904-1912), député radical des Côtes-du-Nord de 1928 à 1936, André Lorgeré est nommé sous-secrétaire d'État à l'Éducation physique le 30 janvier 1934. Une fonction éphémère pour cet homme puisque le gouvernement d'Édouard Daladier disparaîtra le 9 février 1934, suite à la démission du président du conseil.
Ces réussites institutionnelles ont sans doute été très utiles aux deux clubs pour nouer des relations et ainsi faciliter des transferts ou encore des décisions au sein des instances du football. Il n'est ainsi guère étonnant de voir que ces deux petites villes ont ainsi accueilli l'équipe de France : en 1995 et 2008 pour Auxerre, en 2009 pour Guingamp.
Pour finir, et cela fera office de conclusion, voici la liste des joueurs qui ont joué dans les deux camps.
Arnaud Gonzalez : Auxerre de 1997 à 2000 puis de 2001 à 2005, Guingamp de 2005 à 2006. Stéphane Carnot : Guingamp de 1991 à 1997 puis de 2000 à 2005, Auxerre de 1998 à 2000.
Stéphane Guivarc'h : Guingamp de 1991 à 1995 puis de 2001 à 2002, Auxerre de 1995 à 1996 puis de 1997 à 1998 et enfin, de 1999 à 2001.
Zbigniew Kaczmarek : Auxerre de 1990 à 1992, Guingamp de 1992 à 1994.
Steeven Langil : Auxerre de 2007 à 2013 (avec plusieurs prêts pendant cette période), Guingamp de 2013 à 2014.
Ronan Le Crom : Auxerre de 1998 à 2002, Guingamp de 2002 à 2004.
Lionel Mathis : Auxerre de 2000 à 2007, Guingamp de 2008 à aujourd'hui.
Didier Otokoré : Auxerre de 1987 à 1993 puis de 1995 à 1996, Guingamp de 1994 à 1995.
Andrzej Szarmach : Auxerre de 1980 à 1985, Guingamp de 1985 à 1987.
Abdelhafid Tasfaout : Auxerre de 1995 à 1997, Guingamp de 1997 à 2002.
Franco Vignola : Auxerre de 1986 à 1994, prêté à Guingamp lors de la saison 1992-93.
Lilian Nalis et Cédric Liabeuf sont passés par la réserve de l'AJA avant de jouer en pro à Guingamp.
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