Deux équipes de France pour les JO !
1908, Londres accueille les Jeux Olympiques. Ces JO se déroulent du 27 avril au 31 octobre en plusieurs phases, respectant ainsi les saisons. Le football étant un sport d'hiver au Royaume-Uni (cf. le Boxing Day), le tournoi a lieu du 19 octobre au 24 octobre.
Pour ce tournoi, la France décide d'envoyer deux équipes puisque le règlement le permet. Lors du tirage au sort, effectué le 2 octobre, l'équipe de France A hérite de la Bohême et l'équipe de France B du Danemark. Mais pour des raisons géopolitiques, l'Autriche empêche la Bohême de participer aux JO puisqu'elle avait fait exclure cette dernière de la FIFA ! Reconnue par le CIO, la Bohême participa aux autres épreuves.
Comme le tournoi débute directement avec les quarts de finale (il n'y a que 8 participants), la France A se retrouve directement qualifiée pour le dernier carré ! Et selon le tableau, la France A affrontera en demi-finale le vainqueur du match France B-Danemark. Nous ne sommes alors qu'à 90 minutes d'un improbable France A-France B en demi-finale du tournoi olympique.
Le Danemark étrille d'abord la France B
Mais en 1908, le football français n'est pas la fête. L'Union des Sociétés Françaises des Sports Athlétiques (U.S.F.S.A.), la principale fédération sportive de France, a quitté la FIFA en juillet 1908 mais est toujours reconnue par le CIO. Dans le même temps, le Comité Français Interfédéral (C.F.I.), fondé en mars 1907, ne sera officiellement reconnu par le FIFA comme successeur de l'U.S.F.S.A. qu'en décembre 1908... Résultat, en octobre 1908, seuls les joueurs membres de l'U.S.F.S.A. furent sélectionnés pour les JO, laissant ceux des autres fédérations sur le carreau.
Comme si cela ne suffisait pas, les deux équipes de France arrivèrent aux JO sans la moindre préparation. Ainsi, à l'approche du tournoi, la presse sportive française ne se faisait guère d'illusion sur le sort de nos deux équipes : « Le forfait des Bohémiens va permettre à notre équipe de prendre avec les Danois la même leçon que notre équipe B recevra d'eux. Nos deux équipes ne peuvent prétendre à la victoire, quand on songe que les joueurs qui la composent vont sur le terrain pour la première fois » comme l'explique Régis Desmarets dans un article du journal L'Auto.
Et Desmarets avait bien raison d'être pessimiste. Le 19 octobre 1908, le Danemark bat la France B sur le score de 9-0 dans des conditions difficiles (brume et terrain glissant). L'Auto évoque un « demi écrasement » puisque l'on s'attendait à prendre plus de buts. A noter qu'il s'agissait du premier match officiel du Danemark alors que sa fédération existait depuis 1889 !

Les A font pire que les B !
La demi-finale entre l'équipe de France A et le Danemark se joue quelques jours plus tard, le 22 octobre pour être précis. Et contrairement à l'équipe de France B, cette fois, l'écrasement est total. Les Français sont battus 17 à 1 !
Dans les résumés de l'époque, il est fait état d'un manque total de jeu collectif des Français comme on peut le lire dans le rapport officiel des JO : « The forwards were not bad individually, but had little idea of combination, and passed much too hard. Nor did the half-backs know how to feed them, so that they never had a chance of carrying out a serious attack, although they often took the ball into Danish quarters. » Précisons que six des onze joueurs français ont connu lors de ce match leur première et unique sélection...
Le score aurait même été plus lourd sans « plusieurs arrêts brillants de Tillette » comme le rapporte le journal L'Auto. A noter que l'honneur est sauf avec un but Sartorius pour la France. A l'issue de cette déroute, l'équipe de France A déclare forfait pour la petite finale contre les Pays-Bas.

17-1, une défaite historique
Cette défaite est la plus lourde de l'histoire de l'équipe de France. Son précédent record datait de 1906 avec un revers 15-0 contre l'Angleterre : ce jour-là, les Français jouaient en rouge.
Après ce match du 22 octobre 1908, l'équipe de France subira encore de lourds revers avec dix buts encaissés ou plus : 11-0 contre l'Angleterre en 1909 et 10-1 en 1910 ; 13-1 contre la Hongrie en 1927.
Les raisons de la défaite
Il est maintenant intéressant de voir les raisons d'une telle défaite. Comme dit précédemment, les joueurs ne provenaient que de l'U.S.F.S.A. ce qui limitait le réservoir de joueurs. Ce seront d'ailleurs les deux derniers matches de l'équipe de France avec cette fédération puisque le C.F.I. prendra ensuite le relais, sélectionnant alors des joueurs provenant des différentes fédérations.
Autre point négatif, les joueurs sélectionnés pour les JO étaient tous membres de clubs parisiens ou nordistes. Il faudra attendre les années 20 pour voir débarquer des Sudistes et des Bretons en équipe de France.
Par ailleurs, les deux équipes de France ont participé à ces JO sans la moindre préparation physique et avec de nombreux néophytes. Enfin, les deux équipes de France n'arrivèrent sur place que le jour du match. Les joueurs ont ainsi voyagé pendant la nuit avec un trajet Paris-Calais-Londres plutôt usant, prenant le train puis le bateau et à nouveau le train (sachant le match du 17-1 a débuté à 13h00). La raison est économique : cela coûterait cher à l'U.S.F.S.A. de payer plusieurs jours d'hôtel aux joueurs (surtout avec deux équipes).
Le Danemark, un adversaire redoutable
La déroute française s'explique aussi par la puissance du Danemark. Les footballeurs danois sont pour la plupart issus de la haute société et sont à l'abri du besoin. Par exemple, l'arrière Charles Buchwald est issu d'une famille de la noblesse et deviendra avocat. Quant au demi Harald Bohr, il fera une brillante carrière en tant que mathématicien. Enfin, l'attaquant Vilhelm Wolfhagen deviendra colonel dans l'armée danoise.
Ces footballeurs danois ont donc de l'argent et cela leur permet de recruter un entraîneur anglais, Charles Williams, pour préparer au mieux les Jeux Olympiques. Dans cette optique, le Danemark dispute même un match amical contre un club allemand : victoire 14-1 contre le Berliner Ballspiel Club à Copenhague. Enfin, les Danois quittent leur pays dès le 14 octobre pour se rendre à Londres avant d'y affronter l'équipe de France B le 19 octobre.
Le Danemark arrive donc aux JO avec une bonne condition physique et un style de jeu à l'anglaise. Ce n'est donc pas un hasard si le Danemark étrille la France comme le font les Anglais. D'ailleurs, en finale des JO, le Danemark ne s'inclinera que 2-0 contre le Royaume-Uni. Et quelques jours après cette olympiade, les Danois affronteront le club professionnel de Fulham afin de poursuivre leur apprentissage du haut niveau.

Que doit faire le football français pour progresser ?
Après ces JO désastreux, la presse française implore les dirigeants de notre football de tout mettre en œuvre pour progresser : « il faut que, sans retard, nos dirigeants mettent sur pied une équipe nationale et fassent l'impossible pour lui procurer le moyen de s'entraîner, sans quoi nous ne pourrons arriver à venger notre échec des Jeux Olympiques 1908. » écrit Desmarets dans L'Auto. Et suivant le modèle danois, il préconise le recrutement d'un entraîneur anglais. Ce sera chose faite pour les JO de 1920 avec le recrutement de Fred Pentland.
90 ans plus tard
Histoire de conclure sur une note heureuse, la France remportera 90 ans plus tard la Coupe du monde de football, en battant notamment au premier tour le Danemark sur le score de 2 buts à 1.
Les feuilles de matches des Jeux Olympiques 1908
19 octobre 1908, Danemark – France B : 9-0
Danemark : Gardien : L. Drescher (Copenhague FC). Arrières : C. Buchwald (Academicals) et H. Hansen (93 Club). Demis : H. L. Bohr (Academicals), K. Middelboe (Copenhague FC) (cap.) et N. Middelboe (Copenhague FC). Attaquants : N. O. Nielsen (Copenhague FC), A. W. Lindgreen (93 Club), S. E. Nielsen (Frem FC), V. Wolfhagen (Copenhague FC) et M. Andersen (Frem FC).
France B : Gardien : F. Desrousseaux (US Tourquennoise). Arrières : J. Verlet (CA de Paris) (cap.) et Ch. Bilot (CA de Paris). Demis : S. Dastarac (Gallia Club), R. Gressier (RC de Calais) et J. Vialaret (CA 14e). Attaquants : P. Six (Olympique de Lillois), A. Jenicot (RC de Roubaix), H. Holgard (Amiens AC), P. Marthaux (US Boulonnaise) et A. Filez (US Tourquennoise).
22 octobre 1908, France A-Danemark : 1-17
France A : Gardien : M. Tillette (US Boulonnaise). Arrières : J. Dubly (RC de Roubaix) et V. Wibaut (Olympique Lillois). Demis : G. Bayrou (Gallia Club), L. Schubart (Olympique Lillois) et C. Renaux (RC de Roubaix). Attaquants : G. Cyprès (C.A. de Paris), R. Fenouillère (Red Star AC), A. François (RC de Roubaix), G. Albert (CA de Paris) et E. Sartorius (RC de Roubaix).
Danemark : Gardien : L. Drescher (Copenhague FC). Arrières : C. Buchwald (Academicals) et H. Hansen (93 Club). Demis : H. L. Bohr (Academicals), K. Middelboe (Copenhague FC), N. Middelboe (Copenhague FC). Attaquants : J. Gandil (93 Club), A. W. Lindgreen (93 Club), S. E. Nielsen (Frem FC), V. Wolfhagen (Copenhague FC) et B. V. R. Rasmussen.

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