Le meilleur joueur de l'époque avait eu pourtant bien du mal à rejoindre le Real Madrid. C'est une histoire compliquée, voire romanesque puisqu'elle prend racine avec une grève en argentine et la formation d'un championnat colombien hors-la-loi et a joué un rôle déterminent dans la rivalité entre le Real Madrid et le FC Barcelone. Vous êtes perdu ? Ne vous inquiétez pas, je vais tout vous raconter.
L'essor du football argentin
Pendant la Seconde guerre mondiale, l'économie des pays sud-américains connaît une croissance liée à l'incapacité des pays européens d'exporter vers ce continent. A partir de 1941, l'économie de l'Argentine est même florissante puisque le pays exporte vers les USA ses produits agricoles et ses matières premières. La bonne santé économique de l'Argentine a des répercussions positives sur le sport et le football.
A cette époque, une ville comme Buenos Aires possède une dizaine de stade dépassant les 40 000 places. En Europe, seule Londres pouvait rivaliser. Le club de River Plate obtint ainsi le prêt de 2 500 000 pesos de la part du gouvernement argentin pour construire l'Estadio Monumental. Inauguré en 1938, ce stade permit à River de franchir un palier et ainsi de dominer le championnat argentin.
River Plate remporte ainsi le championnat d'Argentine en 1941, 1942, 1945 et 1947 et se voit surnommer « la Maquina ». Ce surnom de « Machine » n'est pas anodin puisque le pays connaît alors un essor industriel. La Maquina désigne la ligne d'attaque de River Plate qui est composée de Juan Carlos Muñoz, José Manuel Moreno, Angel Labruna, Félix Loustau et Adolfo Pedernera.

Pedernera est la star de cette équipe. Il faut dire que ce footballeur incarne à merveille l'essor de l'Argentine puisqu'il est issu d'une famille pauvre d'une dizaine d'enfants. Dans l'ombre de Pedernera, il y a Alfredo Di Stéfano. Pour ne pas ronger son frein sur le banc de touche, Di Stéfano est prêté en 1946 à Huracan. En 1947, Pedernera est vendu au Club Atlético Atlanta pour la somme record de 140 000 pesos. Di Stéfano prend alors la place de Pedernera dans la Maquina et remporte le championnat en 1947.
Le football argentin en grève
Si un joueur comme Pedernera parvient à gagner sa vie, ce n'est pas le cas de tous les footballeurs argentins. Car même si le président Peron (élu en 1946) mène une politique populiste en faveur des classes ouvrières, ce n'est pas suffisant. Ainsi, dès 1946, la question sociale se pose dans le football et les footballeurs revendiquent un salaire minimum, l'instauration du contrat à temps (et non à vie) ainsi que la reconnaissance du syndicat des joueurs (Futbolistas Argentinos Agremiados).
Proche du pouvoir péroniste, la Fédération Argentine (AFA) n'accède pas aux requêtes des joueurs et les clubs bloquent les accords collectifs. Lassés d'attendre, les joueurs reviennent à la charge en 1948 et décident de se mettre en grève à partir du 10 novembre 1948. Les leaders du mouvement sont Fernando Bello, gardien d'Independiente et secrétaire général de la Futbolistas Argentinos Agremiados ; Oscar Basso, capitaine de San Lorenzo et Adolfo Pedernera.
Si les joueurs Argentins obtiennent en partie satisfaction en 1949 avec la création d'une protection sociale, ils vont cependant quitter massivement l'Argentine pour la Colombie.
L'El Dorado colombien
Pourquoi quitter l'Argentine pour la Colombie ? En 1948, le football colombien connait une scission entre la Fédération (qui prône l'amateurisme) et la Ligue qui organise le championnat. Cette Ligue adopte le statut professionnel et prend le nom de Division Mayor, plus connue sous le nom de Dimayor.
La Dimayor est l'œuvre d'entrepreneurs aisés menés par Alfonso Senior Quevedo, le président des Millonarios de Bogota. Leur but est de faire du championnat colombien un rival du championnat argentin. Soutenue par le Sénat colombien et Avianca (la compagnie nationale aérienne colombienne), la Dimayor débute en 1948 et rencontre un franc succès.
La première star qui rejoint le championnat colombien est Aldolfo Pedernera qui arrive aux Millonarios de Bogota le 8 juin 1949. Pedernera reçoit ainsi 4000 dollars à la signature, 1000 pesos par mois et 50 pesos par point gagné. A l'époque le salaire mensuel des joueurs colombiens ne dépassait pas les 100 pesos ! Pedernera entraîne dans son sillage les meilleurs joueurs argentins comme Hector Rial, Nestor Rossi. Et c'est Pedernera lui-même qui convainc Di Stéfano de venir jouer avec lui pour les Millonarios. Comme le montre le schéma ci-dessous, pas moins de 80 footballeurs argentins évoluent en Colombie en 1950 et ce, sans parler des joueurs qui s'en vont dans d'autres pays.

Cet exode massif des footballeurs argentins s'explique bien évidemment par la grève des joueurs argentins mais aussi par le ralentissement de l'économie argentine, en raison de la fin de la Seconde guerre mondiale. Mais si les clubs colombiens font des offres astronomiques aux joueurs, c'est parce qu'ils ne versent aucune indemnité de transfert aux clubs argentins et qu'en plus, aucune limite n'a été fixée pour le nombre de joueurs étrangers par club ! Pour couronner le tout, les clubs colombiens refusent de libérer leurs joueurs pour les équipes nationales !
Résultat, la Dimayor devient le championnat le plus attractif d'Amérique du Sud et connaît alors son âge d'or qui est resté dans l'histoire du football sous le nom d' « El Dorado ». Preuve de sa vitalité, la Dimayor passe de 10 à 18 clubs entre 1948 et 1950 ! Et après les Argentins, on voit débarquer des joueurs du monde entier : des Britanniques (Neil Franklin, George Mountford, Charlie Mitten, Billy Higgins et Bobby Flavell), des Hongrois, des Brésiliens (Tim, Heleno de Freitas).
Le club qui domine la Dimayor est Los Millonarios de Bogota qui remporte le championnat en 1949, 1951, 1952 et 1953 ainsi que la Copa Colombia en 1953. La Copa Colombia est créée par la Dimayor sur le modèle de la Copa del Rey. Son but, permettre aux clubs colombiens de joueurs plus de matches et donc, de dégager plus de recettes.
Los Millonarios évoluent fréquemment avec dix joueurs argentins sur le terrain (Alfredo Di Stefano, Adolfo Pedernera, Nestor Raul Rossi, Julio Cozzi, Anthony Baez, Hugo Reyes, Reinaldo Mourin) et reçoit le surnom de « Ballet Azul » (le Ballet Bleu) en raison de l'origine des joueurs et du fait que leur style de jeu fait penser à un ballet. Alfrédo Di Stéfano termine d'ailleurs meilleur buteur de la Dimayor en 1951 (32 buts) et 1952 (19 buts).
La fin d'El Dorado
Mais si la Dimayor prospère, cela n'est pas du goût de la Fédération colombienne et de l'AFA qui perd ses meilleurs joueurs. Dès 1949, la Dimayor est exclue de la Fédération colombienne et par extension, de la CONMEBOL et de la FIFA.
Alfredo Senior Quevedo va alors tenter de trouver un compromis. En septembre 1951, la Dimayor est réintégrée au sein de la Fédération colombienne. Puis, le 25 octobre 1951, la CONMEBOL discute de la situation de la Dimayor lors d'un congrès à Lima. La FIFA y est représentée par l'Italien Ottorino Barassi.
Si le président de l'AFA, Valentín Suárez, qualifie les joueurs argentins de pirates, on trouve néanmoins un compromis qui porte le nom de Pacte de Lima (Pacto de Lima). Que dit ce pacte ?
Le pacte décide que les joueurs qui ont signé illégalement en Colombie en provenance des pays suivants, Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Equateur, Paraguay, Pérou et Uruguay, devront avoir rejoint leur club d'origine au plus tard le 31 décembre 1954. Et entre le 25 octobre 1951 et le 31 décembre 1954, les clubs colombiens ne pourront transférer aucun joueur de ces pays sans l'accord du club d'origine. Quant à Alfredo Senior Quevedo, il devient membre de la FIFA.
Le pacte de Lima marque la fin d'El Dorado et le championnat colombien rentre dans le rang même si en 1960, les Millonarios de Bogota arrivent jusqu'en demi-finale de la première Copa Libertadores.
Di Stéfano ne veut plus jouer en Colombie
Mais l'histoire n'est pas finie pour autant. Car comme le dit le Pacte de Lima, les clubs colombiens ne pourront transférer aucun joueur de ces pays sans l'accord du club d'origine.
Or, un joueur va déclencher un immense imbroglio. Ce joueur, c'est Alfredo Di Stéfano. Comme je l'ai dit plus haut, il fait partie du « Ballet Azul » des Millonarios. Il est surnommé la « Saeta Rubia » (Flèche blonde) en raison de ses cheveux blonds et de sa vitesse.
En mars 1952, les Millonarios effectuent une tournée en Europe et participent au Torneo de las Bodas de Oro del Real Madrid. Ce tournoi triangulaire est organisé par le Real Madrid qui fête à cette occasion ses 50 ans. Après avoir battu l'IFK Norrköping (2-1), les Colombiens affrontent le Real Madrid le 28 mars 1952. Ils donnent la leçon au Real (4-2, doublé de Di Stefano). La prestation de Di Stefano est remarquée par le Real Madrid qui souhaite aussitôt s'attacher ses services. Les Millonarios les informent que Di Stéfano doit avant tout retourner à River Plate et l'affaire tombe à l'eau.
Di Stéfano joue son dernier match avec les Millonarios à la fin de l'année 1952 lors d'une tournée au Chili car il entre en conflit avec ses dirigeants. Il s'installe à Buenos Aires et déclare ne plus vouloir jouer pour les Millonarios. Di Stéfano souhaite à ce moment-là reprendre au plus vite avec River Plate, son ancien club !
Le hic, c'est que Di Stéfano est sous contrat avec les Millonarios jusqu'au 15 octobre 1954 et qu'en plus, il avait reçu une avance sur salaire de 4000 dollars. Les Millonarios portent plainte auprès de la FIFA. La FIFA décide que Di Stéfano est propriété des Millonarios jusqu'au 15 octobre 1954 et deviendra joueur de River Plate à partir du 1er janvier 1955.
Le Barça et le Real veulent Di Stéfano
C'est alors qu'entre en piste le FC Barcelone. En avril 1953, le club catalan a besoin de se renforcer car son meilleur joueur, Laszlo Kubala, est tombé malade (il a la tuberculose). Le FC Barcelone négocie le transfert de Di Stéfano avec son club d'origine, River Plate et parvient à un accord : 4 000 000 de pesetas à partir du 1er janvier 1955.
Le Barça doit aussi négocier avec los Millonarios car Di Stéfano est toujours sous contrat avec le club colombien. Le président des Millonarios, Alfonso Senior Quevedo reçoit l'émissaire du Barça et lui demande 27 000 dollars (1 350 000 pesetas) pour le transfert de Di Stéfano. Le montant est jugé trop élevé par le club catalan qui rentre donc en Espagne sans avoir la totalité des droits sur le joueur argentin.
Malgré cela, Di Stéfano arrive en Espagne le 22 mai 1953 pour finaliser son transfert avec le FC Barcelone. Le club catalan rêve alors d'aligner une attaque Basora, César, Kubala, Di Stéfano et Manchón. Dans une interview à Mundo Deportivo (le 27 mai 1953), Di Stéfano déclare qu'il peut jouer avec Kubala car le jeu du Hongrois ressemble fortement à celui de Pedernera. Mais le transfert n'est pas réglé car la Fédération espagnole se conforme au Pacte de Lima. Du coup, Di Stéfano va poireauter à Barcelone. Il se contente ainsi de jouer trois matches de gala avec le Barça.


Et c'est alors que le Real Madrid entre dans la danse. Le Real va d'abord trouver Di Stéfano qui se morfond dans son hôtel barcelonais et après quelques palabres, l'Argentin est d'accord pour rejoindre le Real. Du coup, en juillet 1953, Álvaro Bustamante, vice-président du Real envoie Raimundo Saporta, trésorier du club, à Bogotá avec plusieurs milliers de dollars. Le but est d'acheter les droits de Di Stéfano aux Millonarios. Le 24 juillet 1953 le Real Madrid devient propriétaire du joueur jusqu'au 15 octobre 1954. Le transfert est même reconfirmé en août lorsque Senior Quevedo rencontre Santiago Bernabéu à Madrid.
Le Real et le Barça possèdent alors chacun 50% des droits sur le joueur. Pour pouvoir jouer en championnat, Di Stéfano doit être enregistré auprès de la Fédération espagnole (RFEF). Pour cela, le Real doit obtenir l'accord du Barça et vice-versa. C'est donc le début de l'imbroglio entre les deux clubs.
Comme le délai pour l'inscription des joueurs arrive à échéance, la RFEF fait appel à la FIFA comme médiatrice. Cette dernière nomme Armando Muñoz Calero, ancien président de la RFEF et vice-président de l'Atlético Madrid pour dénouer le conflit entre les deux clubs. En septembre 1953, Armando Muñoz Calero décide que Di Stéfano jouera pour le Real Madrid lors des saisons 1953-1954 et 1955-1956, et pour le Barça en 1954-1955 et 1956-1957. À l'issue de ces quatre saisons, les deux équipes doivent se mettre d'accord sur l'avenir du joueur en Espagne. L'accord est approuvé par le gouvernement espagnol et les deux clubs.
Mais cela déplait à de nombreux barcelonais et cela pousse le président du Barça, Enric Marti à démissionner le 22 septembre 1953. Le lendemain, Di Stéfano, après plusieurs mois d'inactivité, effectue ses débuts avec le Real Madrid et s'incline 4-2 contre le FC Nancy. Une semaine après, le Barça renonce à ses droits sur Di Stéfano. Pour régler définitivement la situation, le Real verse 5 750 000 pesetas au Barça, aux Millonarios et à River Plate.
Di Stéfano change la face du football espagnol
Avec Di Stéfano dans ses rangs, le Real Madrid va entrer dans une nouvelle ère : celle du succès. Avant 1953, le Real Madrid n'avait gagné que deux championnats en 24 ans (contre 6 pour le Barça). Avec Di Stéfano, le Real Madrid remporte le titre à huit reprises (1954, 1955, 1957, 1958, 1961, 1962, 1963 et 1964) ainsi que la Coupe d'Europe des Clubs Champions cinq fois de suite de 1956 à 1960.
Lindsey-Connection, Posté le samedi 19 juillet 2014 03:24
un tres grand monsieur du foot!!!!